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RECREATIONS LATINES

 

Traduction française de l'histoire de Toko

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L'archer Toko : un précurseur danois de notre Guillaume Tell ? (3)

Gravure sur bois de la chronique de Petermann Etterlin
éditée à Bâle en 1507

Traduction du texte

Ce qui suit ne doit pas être laissé sous silence. Un nommé Toko était depuis quelque temps à la solde du roi. Par les services qu’il rendait, il portait ombrage au zèle de ses compagnons d’armes et il s’était fait plusieurs ennemis de ses vertus. Par hasard, dans l’ivresse d’un banquet, il se vanta d’une si grande pratique du tir à l’arc, qu’il pouvait à distance, du premier coup, atteindre une pomme placée sur un bâton, si minuscule fût-elle.

Ces propos, tombés d’abord dans l’oreille de gens malintentionnés, parvinrent ensuite au roi. Mais bientôt, la perversité du prince transforma l’orgueil du père en danger mortel pour son fils : il ordonna que l’enjeu chéri de sa vie remplaçât le bâton; et que si l’auteur du pari n’atteignait pas la pomme du premier coup, il payât sa vaine jactance de sa propre tête.

A cause des pièges de la jalousie d’autrui, tirant parti d’une vanterie un peu éméchée, l’ordre du roi obligeait le soldat à faire plus qu’il ne s’y était engagé. A la suite de ses propos, il était tenu de réaliser même ce qu’il n’avait pas dit. Il advint qu’il concentra ses efforts vers ce qu’il n’envisageait pas du tout et que, ce dont il ne s’était nullement déclaré capable, il le réalisa pleinement grâce à son savoir-faire. En effet, son caractère inébranlable, bien que pris au piège des diffamations, ne put se départir de sa légitime assurance. Plus encore : il accepta l’épreuve avec une confiance d’autant plus grande qu’elle était plus difficile.

C’est pourquoi Toko fit avancer le jeune homme et lui recommanda instamment de garder les oreilles à hauteur égale, la tête bien droite, et d’endurer avec le plus grand calme le sifflement du projectile, pour éviter que, par un infime mouvement du corps, il fît échouer l’expérience d’un art infaillible. En outre, prenant le parti de dissiper sa crainte, il lui détourna le visage afin qu’il ne fût pas effrayé en voyant le trait. Ensuite, il sortit trois flèches de son carquois, et de la première qu’il ajusta sur la corde, il atteignit la cible.

Si le destin lui avait fait toucher la tête du jeune homme, il n’est pas douteux que le malheur du fils eût rejailli sur le père, et que l’erreur du tir eût associé la mort du tireur à celle de sa victime. Aussi, je ne sais si je dois admirer davantage la valeur du père ou la force de caractère de son fils. L’un évita le meurtre par la sagesse de son art ; l’autre, grâce à son endurance physique et morale, fut l’artisan de son propre salut et sauva son père du parricide. En effet, il conforta son jeune corps d’une fermeté digne d’un homme mûr, manifestant pendant l’attente de la flèche autant de courage que son père montra d’adresse à la lancer. C’est ainsi que grâce à sa constance, il obtint ce résultat que la vie ne lui fut point ôtée, et que son père fut sauvé.

Mais le roi interrogea Toko. Pourquoi avait-il retiré plusieurs flèches du carquois, alors que son arc n’avait droit qu’à une seule tentative pour atteindre le but ? “C’était”, dit-il, “pour venger sur toi, par la pointe des autres flèches, l’égarement de la première, et pour éviter que mon innocence ne fît l’épreuve du châtiment alors que ta violence faisait celle de l’impunité”. Par une parole aussi franche, il enseigna à la fois qu’on lui devait un titre de courage et que l’ordre du roi méritait un châtiment.

Saxo Grammaticus, Geste des Danois, 10.7.1-10.7.3